Je m'intéresse depuis plus d'un an à la gestion participative dans les organisations; je mène une recherche dans le contexte universitaire et j'aimerais aussi répondre aux nombreux questionnements des entrepreneurs que j'accompagne: tentés par le modèle horizontal ou participatif, mais aussi très craintifs à son égard.
Au cours de la recherche sur la transformation vers une gestion participative, j'ai rencontré trois entreprises québécoises (entre 30 et 130 employés) qui étaient au cœur d’une transformation organisationnelle vers le modèle participatif ou qui disaient l'avoir complétée.
Selon Solange Cormier (2018) la gestion participative doit impliquer "la participation réelle de tous et le remplacement du contrôle hiérarchique par la communication et la coordination" [1]. La gestion participative n’est pas un concept nouveau, elle a eu ses heures de gloire dans les années 60, au moment où on réfléchissait à la démocratie industrielle dans des pays comme la Norvège ou la Suède, mais elle a aussi eu ses phases de repli vers la rationalisation et la formalisation au tournant des années 90 (Gilbert, Teglborg, Raulet-Croset, 2017). Bien que le modèle horizontal soit plus populaire actuellement en France, car des entreprises de milliers de travailleurs comme Peugeot et Décathlon ont réalisé des transitions vers un modèle horizontal (ou libéré), il n'en demeure pas moins que la gestion participative est très proche du modèle entrepreneurial québécois; presque inscrite dans son ADN. On entend d'ailleurs souvent ce discours de la part de travailleurs expérimentés qui se souviennent avec nostalgie des débuts de l'entreprise: des contacts privilégiés avec les fondateurs et de leur implication dans les prises de décisions, en plus de souligner la dimension familiale et humaine de l'entreprise.
Toutefois, à mesure que l'entreprise grandit et s'organise, les chances de perdre de vue les besoins d'autonomie et de créativité des travailleurs augmentent. Le modèle participatif fait la preuve qu'il sera toujours temps pour l'entreprise de répondre au besoin de contribuer des employés: laisser sa marque, déployer ses talents, prendre part aux décisions.
Quelles sont les motivations des PME pour la gestion participative?
Les motivations à la source de la transformation vers le modèle participatif sont diverses, mais conséquentes: allant de la volonté de retenir et d'attirer les employés, de réduire la charge de travail du PDG ou DG, de demeurer agiles et créatifs dans un monde en constante mouvance. Les périodes de démarrage et les crises traversées par les entreprises semblent avoir démontré le potentiel de créativité des employés alors que ces mêmes compétences tendent à s'atténuer à mesure que la routine s'installe et que chacun se concentre sur ses tâches à accomplir. Selon le fondateur de l’Holacratie[2], Brian J. Robertson (2012), la structure hiérarchique qu’on retrouve dans les organisations empêche de réagir avec agilité à un monde en perpétuels changements.
Pas de modèle unique
J'ai constaté rapidement qu’aucun modèle organisationnel n’était similaire parmi les entreprises rencontrées. Ainsi, une des entreprises observées se rapprochait davantage du modèle holacratique, car elle fonctionnait autour de l’équipe. Une autre entreprise se rapprochait du modèle sociocratique puisqu’elle prenait ses décisions au sein d’un cercle organisationnel qui comprenait l’ensemble des acteurs de l’organisation. La troisième entreprise se rapprochait du modèle de l’entreprise libérée de Getz (2009) ou du modèle de l’entreprise réinventée de Frédéric Laloux (2014), car elle reposait sur l’autonomie et la responsabilité des employés sans pour autant les mettre au cœur de processus décisionnels définis.
Points communs aux modèles observés:
Le fonctionnement de l’entreprise reposait sur le rôle de la personne et non sur la hiérarchie ou sur ses tâches.
Les gestionnaires donnaient facilement de l’autonomie à leurs employés; leur confiant des responsabilités tôt dans le processus.
Les gestionnaires consultaient les employés avant de prendre une décision au sujet de l'organisation. La consultation se faisant de manière formelle ou informelle.
L’approche « essais et erreurs » était privilégiée pour résoudre les problèmes dans l’organisation, ce qui impliquait plusieurs réajustements et qui nécessitait une grande capacité d’adaptation de la part de l’employé.
Les gains observés
Pour parvenir à transformer l’organisation vers un modèle participatif, les gestionnaires nous ont parlé d’un processus plus long que prévu, mais ils mentionnaient avoir obtenu plusieurs gains. Voici les retombées positives partagées par l'ensemble des gestionnaires rencontrés:
Les employés étaient davantage motivés envers les projets et envers l’entreprise;
L’attraction de la main-d’oeuvre se simplifiait, car il suffisait de bien expliquer son fonctionnement pour attirer les candidats qui souhaitaient joindre l’entreprise;
Les gestionnaires principaux se disaient davantage en cohérence avec leur entreprise et les valeurs de celle-ci;
Les gains $$ de l’entreprise avaient augmenté de façon inattendue, ce qu’on associait à une hausse de la productivité.
Trois facteurs à succès pour faciliter la transition organisationnelle
Bien que tous les gestionnaires aient mentionné avoir vécu une transition organisationnelle éprouvante au niveau personnel, nous avons pu dégager des facteurs favorisant la réussite de la démarche :
Le premier facteur à succès étant la confiance du gestionnaire principal envers le processus de changement lui-même. Les gestionnaires interrogés mentionnaient avoir fait appel à des coachs personnels, à des psychologues ou avoir été accompagnés dans leur expérience par des lectures inspirantes et fondatrices du modèle participatif. Ils ont aussi nommé l’importance d’avoir une vision claire pour le projet et de développer un réseau de soutien avec d'autres gestionnaires vivant des processus similaires. Aussi, il a été évoqué à plusieurs reprises par les gestionnaires initiateurs qu’ils avaient choisi de mettre de côté la microgestion pour faire confiance aux principes d’autocontrôle ou de contrôle par le groupe.
Le deuxième facteur à succès concernait l’utilisation de méthodes ou d’outils pour entretenir la motivation et l’engagement des employés. Ainsi, l’écoute des besoins a été nommée à plusieurs reprises. Aussi, nous avons pu constater que les gestionnaires faisaient appel à une participation volontaire pour impliquer les employés dans les projets de l’organisation. Certaines des entreprises interrogées ont choisi de redistribuer les bénéfices annuels aux employés et dans certains cas, on a décidé de travailler l’horizontalité avec le client, ce qui permettait de créer plus d’autonomie à l’interne.
Enfin, le troisième et dernier facteur à succès était attribué au climat de confiance : en choisissant un modèle qui reposait sur la participation, les gestionnaires initiateurs étaient conscients qu’ils devaient donner le plus de confiance possible aux personnes envers la prise d’initiatives et de décisions puisque celles-ci ne seraient plus encadrées par la hiérarchie. Une confiance devait donc s’installer au sein des équipes en vue de travailler ensemble, mais sans devoir rendre des comptes au supérieur immédiat ou recevoir des directions explicites sur le travail à faire. Les entreprises ont engagé des animateurs et des coachs pour les rencontres d’équipe, elles ont aussi développé des règles de fonctionnement sur la vie en organisation et au sein des équipes. De plus, elles ont choisi de régler les conflits et de les prévenir le plus rapidement possible. Finalement, pour travailler le climat de confiance, les dirigeants ont opté pour une transparence quant aux décisions prises et aux privilèges accordés.
Capacité d'adaptation et confiance
Les rencontres avec les entrepreneurs permettent d’identifier que le modèle participatif convenait bien aux personnes présentant un grande capacité d’adaptation. Les personnes ayant quitté ces entreprises ont souvent évoqué la «trop grande adaptation demandée». Les gestionnaires qui ont initié ces démarches ont aussi dit qu'il était plus difficile d'intégrer des travailleurs avec peu d'expérience professionnelle, de leur faire comprendre le principe d’autonomie/responsabilité. Alors, vient cette question: aurait-il été possible de travailler davantage avec ces personnes pour les préparer au contexte de travail ou communiquer les attentes plus explicitement?
Au sein de ces données, on retrouve beaucoup de liens avec les processus de changement humain tels que définis par Paul Carle (2012) où la confiance est une condition essentielle : «(le processus de changement) demande passablement de confiance; confiance en soi, en sa capacité à construire, à concrétiser des changements à partir d’images; confiance dans les autres membres du groupe pour aider, stimuler, accepter, enrichir ce qui surgira »[3].
Pouvons-nous parler d'un retour au mouvement des relations humaines amorcé dans les années 40 avec, celui même à la base du développement organisationnel? Tel que pratiqué aujourd’hui, le développement organisationnel tend pourtant à évacuer les phénomènes d'enjeux politiques, les exigences de préparation et de formation du personnel et le facteur ''temps" pourtant nécessaire à tout changement de mentalité, d'attitude et de valeurs (Cormier 2018, Hermel 1998)?
Comment composer avec ces changements qui demandent temps et réflexion dans un monde qui se transforme à toute vitesse? Sachant pourtant que la crise du monde du travail (pénurie de main-d'oeuvre, taux de roulement élevé, stress, dépressions et burnouts en hausse, ...) ne pourra perdurer ou se résorber d’elle-même. Alors si, comme gestionnaire ou entrepreneur, vous vous voyez hésiter sur le "comment faire" ou "comment mettre en place" une gestion participative dans votre organisation, je vous invite d'abord à réfléchir au "pourquoi" de cette transformation: une réponse qui vous accompagnera tout au long de votre démarche et qui facilitera l'atteinte des résultats souhaités.
Les PME ne sont pas les seules à vouloir aplanir leur structure pour accentuer l'exercice de communication et de collaboration; certains ministères, des organismes communautaires et des institutions scolaires emboitent aussi le pas vers une transformation de leur gouvernance. Comme si le besoin de réduire l'écart entre "comment nous fonctionnons" et "qui nous souhaitons être" se faisaient sentir dans plusieurs milieux de travail. La majorité des gestionnaires rencontrés ont mentionné que la transformation leur redonnait le goût de venir travailler; qu'ils se reconnaissaient à nouveau dans leur entreprise.
Pour échanger ou en savoir plus sur la gestion participative: annie@kiaiconseilsrh.com
____ [1]Cormier, Solange (2018).
[2]Holacratie : technologie sociale en vue de diriger et opérer une organisation, mise en place par le fondateur Brian J. Robertson en 2012 dans sa propre entreprise en vue de favoriser l’émergence de la capacité d’innover ainsi que l’intelligence collective. Robertson a décrit l’ensemble des concepts, règles, structures et principes organisationnels qui définissait l’Holacratie dans un document de 20 pages rédigé sous forme de BD.
[3]Carle, Paul (2012). Théorie U : Changement émergent et innovation : modèles, applications et critiques.