Pourquoi le soutien social des pairs et du cadre supérieur est-il "si" essentiel dans la prévention de la santé mentale et dans le retour au travail ?
D'entrée de jeu, j'aimerais citer Jacinthe Douesnard:
”Le rapport qu'entretiennent les personnes avec leur travail n'est pas neutre. Source des réalisations personnelles au lieu de consolidation de l'identité, le travail peut également être source de souffrances physiques et psychologiques. En sus des conséquences individuelles qu'auront ces atteintes physiques et psychologiques s'ajoutent les répercussions sociales et organisationnelles. “
Le travail est un milieu de vie, un milieu social qui contient les mêmes avantages et inconvénients que la société. C'est-à-dire que les interactions peuvent nous renforcer tout comme elles peuvent créer des tensions. On y ajoute, en plus, les contraintes de productivité et de rendement qui entrent parfois en contradiction avec la volonté de solidarité ou de bienveillance.
Chez KI-AI, notre approche sur la santé psychologique au travail s'inscrit donc dans la même perspective que Louise St-Arnaud qui propose que “la santé du travail qui est passé d'une médecine du travail centrée sur la maladie et l'intervention individuelle à une approche organisationnelle centrée sur la capacité d'établir des liens entre un problème de santé et sa source dans le milieu de travail.”
Avec cet article, j'aimerais vous inviter à penser la santé psychologique au-delà du facteur individuel et à considérer tous les facteurs sociaux du travail qui peuvent affecter ou impacter les dispositions personnelles de la santé psychologique. C’est crucial à notre époque de prendre en considération ce qu'on peut vraiment changer en amont pour améliorer la vie des individus et de toutes les personnes qui travaillent dans nos organisations.
Santé psychologique et facteurs de risques organisationnels:
Il y a déjà beaucoup d'informations qui circulent autour des facteurs individuels en santé psychologique au travail. Dans notre équipe et avec nos partenaires, on s'intéresse davantage à éclairer les gens sur les volets organisationnels et groupaux de la santé psychologique au travail. Il s’agit de s’intéresser aux facteurs qui aggravent ou nuisent au rétablissement de la santé psychologique des travailleuses et travailleurs. On peut les nommer les facteurs d’interaction, mais ils sont plus connus sous le terme de risques psychosociaux.
Je vais porter l'attention sur quelques critères spécifiques qui appartiennent à l'organisation et au groupe. Il y a d'abord la notion de charge de travail qui est un enjeu de santé psychologique complexe entre la charge émotionnelle et psychologique que la personne a face à une charge (quantité) de travail et dans quelle mesure elle a de la pression pour réaliser son travail. Ce qui ajoute de la charge c’est le sentiment que l’autre demande une responsabilité excessive. Cette interprétation de surcharge devient émotionnelle et psychologique.
Il y a aussi l'autonomie décisionnelle pour réaliser le travail. C’est l’impression de manque de pouvoir d’agir sur la situation, la tâche ou autres éléments du travail qui donnent l’impression de charge.
D'autres facteurs vont être les notions d'équité et de justice sociale. C’est la perception de “qu'est-ce qu'on me demande est-il équitable par rapport au travail des autres?”
L’interprétation d’équité va être l’un des facteurs importants et il doit être clarifié par des éléments structurants comme des politiques, des programmes RH et la culture organisationnelle.
C’est par des discussions qui aideront à clarifier la vision de ce qu'on peut faire ou ne pas faire dans notre organisation, parce que les éléments qui appartiennent au groupe vont constituer le soutien social permettant la cohésion. Il y a le soutien par les pairs et le soutien par le gestionnaire. Et tout ce qui va découler de la reconnaissance du travail accompli
dans une organisation et dans une équipe. La santé repose sur le fait de sentir que notre travail est reconnu, qu’il fait du sens et qu’il permet d’appartenir ou de contribuer au collectif.
“L'intensification du travail, la diversification et la précarisation des formes d'emploi, la flexibilité dans la gestion du temps de production et d'utilisation de la main-d'œuvre en sont les principaux produits (Mercure, 2013)” qui fragilisent le sens et affectent, le lien social et la santé mentale au travail.
Chaque personne de l’organisation a le pouvoir d’agir pour réduire les facteurs de risque et ainsi contribuer à un environnement de travail sain, collaboratif et permettre de travailler dans des conditions de santé psychologique positive.
“s'engager dans les pratiques de soutien implique d’accompagner dans l'identification des situations qu'ils considèrent à risque pour leur santé mentale est la mesure des marges de manœuvre qu'ils ont.” (St-Arnaud 2018)
Face aux enjeux de soutien, les éléments clés à revoir sont les rôles et les responsabilités, les valeurs centrales de l’organisation et le pouvoir d'agir sur son propre travail ainsi que sur le travail des autres.
Le soutien social en santé sécurité et mieux-être au travail (SSTME):
Qu’est-ce que le soutien social en santé, sécurité et mieux-être au travail ?
Selon l’Institut national de santé publique (INSPQ), il y a deux types de soutien social à valoriser au travail, celui du supérieur immédiat et celui des pairs.
“Le soutien social du supérieur immédiat se traduit par des pratiques de gestion qui
favorisent l’écoute, l’ouverture aux opinions et la disponibilité du supérieur immédiat
pour ses employés. Cet indicateur fait référence à la capacité du supérieur immédiat
à soutenir les employés de même que le degré de dignité, de politesse et de respect
avec lesquels les employés sont traités par leur supérieur.
Le soutien social du supérieur immédiat peut prendre plusieurs formes :
1) Opérationnel, c’est-à-dire centré sur la tâche. Le fait de fournir les outils, les ressources et le temps pour faciliter la réalisation des tâches en fait partie. Lorsqu’un supérieur immédiat arrive à faire travailler les gens ensemble et à résoudre les problèmes de fonctionnement, il offre une forme de soutien opérationnel.
2) Informationnel, par le biais d’informations ou de conseils pour soutenir la réalisation du travail et pour aider à résoudre des situations difficiles. La clarification des rôles, des responsabilités et des attentes par le supérieur immédiat est une forme de soutien informationnel.
3) Émotionnel, c’est-à-dire centré sur la personne. Le fait d’être écouté, traité avec respect et de se sentir en confiance peut aider un travailleur à surmonter plus facilement une difficulté professionnelle.
Le soutien social des collègues fait référence à l’esprit d’équipe, au degré de cohésion dans le groupe, de même qu’à l’assistance et à la collaboration de la part des collègues dans l’accomplissement des tâches.
Le soutien social des collègues peut se manifester sous deux formes :
1) Soutien social opérationnel : centré sur la tâche (soutien instrumental). Le fait de recevoir un coup de main, des idées ou des conseils pour résoudre les problèmes rencontrés dans la réalisation de son travail en fait partie.
2) Soutien social émotionnel : centré sur la personne (soutien socioémotionnel). Le fait d’être écouté et de sentir que l’on peut parler librement de ses difficultés peut aider à surmonter plus facilement un problème.
On considère que le soutien social des collègues est élevé lorsqu’il existe un lien de confiance important entre les membres d’une même équipe. Ce soutien se traduit
par des collègues qui offrent leur aide pour surmonter les difficultés, qui partagent
les tâches, qui se répartissent le travail en période de pointe et qui prennent des
moments ensemble pour délibérer sur les façons de faire le travail. À l’inverse, un
soutien social faible peut se manifester par la présence de harcèlement, de conflits,
d’incivilités, de remarques hostiles ou irrespectueuses entre les collègues. Un faible
soutien social des collègues peut aussi se traduire par un climat de compétition et
de méfiance, l’utilisation de conduites déloyales, l’isolement et le chacun pour soi
(absence de travail d’équipe ou de partage d’information).” - INSPQ
La théorie des groupes:
Quand on fait référence aux risques psychosociaux du travail, on fait référence à toutes nos formes d'interaction qui sont reliées à notre vie commune dans un espace comme le travail. Ça implique trois zones importantes qu'on retrouvera dans les modèles de sécurité psychologique dans le groupe. Il y a la zone du travail, la zone du climat (ou la zone de l’affection/émotion) et la zone de pouvoir. Ce sont trois éléments qui sont prédominants dans la dynamique psychosociale et qui peuvent améliorer ou nuire aux enjeux de santé psychologique.
Un élément important à noter dans la dynamique des groupes c'est que fondamentalement l'humain existe par son appartenance à des groupes restreints comme la famille, les amis ou l'équipe de travail. L'appartenance au groupe est un élément fondamental dans la sécurité psychologique. L’humain a besoin de savoir qu’il appartient et qu’il est protégé ou soutenu par un groupe. Donc hors du groupe, c’est l'isolement et il y a un risque de ne pas survivre (littéralement et métaphoriquement) ou d'être rejeté. Ce qui est un facteur d'anxiété important dans nos organisations et sur lequel on peut contribuer à l'amélioration de cette sécurité psychologique; soit celle de ne pas être rejeté et qu'on reconnaisse le pouvoir de contribution de chacun.
Le secret du projet Aristote:
En lien avec ce sentiment de sécurité psychologique, une des études qui a rendu populaire ce concept, c'est l'étude du projet Aristote qui a été faite chez Google. L’organisation se demandait quel était le secret d'une équipe gagnante, le projet a permis de rendre compte que ce n'est pas nécessairement le talent, ce n'est pas l'équipe qui a les meilleures ressources matérielles et humaines qui gagne. C'est celle qui permet à chacun des individus de contribuer à l’équipe sans crainte et donc, de pouvoir nommer vraiment sa perception des choses sans se sentir rejeté.
Nous sommes dans la logique importante des dynamiques de groupe sur lesquels on peut intervenir pour réduire les fragilisations qui sont reliées à l'anxiété, au stress et à la fatigue. Pour y arriver, les équipiers doivent passer au travers des tensions, qui parfois peuvent être ressenties comme du stress psychologique. Ces tensions servent à négocier et à développer les normes et les valeurs communes. Il n’y a pas de sécurité psychologique sans cohésion et il n’y a pas de cohésion sans dialogue dans l’équipe sur les comportements souhaités dans la zone du travail, de l’affection et du pouvoir. Les tensions sont inévitables pour atteindre la cohésion, il est donc primordial que les organisations créent les meilleures conditions pour les vivre ensemble et en sortir plus fort émotionnellement.
Notre aspiration à miser sur le groupe en priorité:
Dans la lignée de toutes ces informations, notre intention est de miser sur le groupe en priorité. Non pas que la dimension individuelle n'est pas importante, mais ce n'est pas dans la pleine capacité organisationnelle de prendre soin de chacune des personnes. Il y aura toujours des facteurs personnels inconnus pour l’organisation et ceux-ci peuvent être pris en charge par des experts ou des ressources externes. L’organisation doit donc prendre soin du collectif et par la suite l’équipe va pouvoir prendre soin des individus et leur permettre de se sentir soutenus, pris en charge, etc. Donc, même si l'organisation voudrait forcer ce sentiment de cohésion ou de solidarité, si ce n'est pas inné par rapport au sentiment d'appartenance au groupe, alors ça va être simplement un effort coercitif qui va nuire à la santé psychologique.
On veut vraiment sensibiliser les gestionnaires, les collaborateurs, les collègues à leur pouvoir d'agir sur leur propre santé psychologique et celle de leurs collègues en établissant justement une culture groupale qui vise le rendement, mais aussi la santé psychologique et la compréhension des limites de chacun. C'est notre avis, et celle de plusieurs chercheurs dont les auteures citées dans ce texte, que le collectif ou l'aspect psychosocial est un élément important à considérer si on veut vraiment réduire le taux d'absentéisme, de présentéisme et tous les aspects personnels, familiaux, économiques qui sont reliés aux enjeux de santé psychologique.
C’est surtout une occasion de redonner un certain pouvoir de changement, de contribution positive aux gens qui sont responsables de l'organisation et ça, ça veut dire que chaque personne dans la ligne hiérarchique a une coresponsabilité dans la prise en charge de la santé psychologique au travail.
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