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RELATION INTERGÉGÉRATIONNELLE ET MENTORAT : LE PONT ENTRE LES GÉNÉRATIONS SOUS FORME DE TRANSMISSION

Par Patrick Dufault - Sous la direction de Renée Houde (2003)



Le postulat central que nous utilisons pour expliquer le conflit intergénérationnel est que la conception de la transmission unilatérale dans la relation intergénérationnelle n'est plus appropriée.


Elle fait référence à une conception à sens unique de la transmission et néglige le rôle actif de l’apprenti (responsabilité de l’appropriation de l’information) dans le processus d’apprentissage. De plus, cette conception laisse, sans mention, la possibilité de l'aîné d’apprendre formellement des connaissances transmises par son apprenti.


Anciennement on concevait la transmission de façon linéaire (M⇒P), alors que la nouvelle communication conçoit la transmission de façon interactive et construite (M⇔P) (Rastier 1995; Robin 2001; Terrail 1995).


Introduction

On parle de plus en plus du choc démographique qui impliquera un manque de main d’oeuvre sur le marché du travail. Parmi les solutions possibles, il y a la rétention des travailleurs âgés. On trouvera donc quatre générations simultanément sur le marché du travail. Toutefois, il existe un fossé entre les générations et celui-ci fait déjà place à de multiples conflits. La relation de mentorat est souvent mentionnée comme étant un nouvel outil d’intervention pour répondre au phénomène intergénérationnel.


Effectivement, elle implique deux générations de personnes ou plus, qui n'ont

pas le même cadre de référence pour évaluer le monde dans lequel elles travaillent. Les valeurs, la confiance ainsi que les fonctions du mentor jouent un rôle majeur sur la manière dont s’exerce le pouvoir entre Mentor et Protégé et sur une nouvelle vision de la transmission et de l’apprentissage.


Si tel est le cas, comment le mentorat peut-il être efficace pour réduire le fossé intergénérationnel ?

Il y a très peu de publications qui décrivent les conditions favorables entre le mentorat et les relations intergénérationnelles dans le monde du travail. Nous tenterons de dresser une première ébauche dans cette perspective. Pour répondre à cette question, nous procéderons en trois étapes.


La première consistera à dresser un portrait de la dynamique intergénérationnelle au travail. La seconde section traitera de l’enjeu lié à la transmission et le dernier point traitera des conditions du mentorat qui sont favorables pour réduire les conflits intergénérationnels. Ce qui nous intéresse dans cette situation, c’est la dynamique entre les deux générations qui se trouvent aux extrémités du marché du travail. Mais avant d’approfondir les problématiques reliées à ce contexte voyons ce que l’on veut dire par le mot génération, car il sera utilisé tout au long de ce texte.


1. La dynamique intergénérationnelle au travail :

1.1 Que faut-il entendre par génération ?

Le concept de génération se définit par des liens complexes entre l’âge, des périodes historiques, des classes sociales, des événements marquants et des transitions à l'intérieur des cycles de vie (Lefebvre 2002, Terrail 1995). Il signifie au sens psychologique, l'âge qui réfère à la position dans le cycle de vie (Lefebvre 2002); au sens anthropologique, il renvoie aux liens de filiations, familiaux ou symboliques (Lefebvre 2002) et au sens sociologique, la génération désigne une « réalité d'ordre temporel » reliée à une société propre qui correspond au temps social, qui est aussi nommée

cohorte (Lefebvre 2002).


De plus, le terme de génération fait aussi référence à des filiations temporelles et de cohortes sociales précises. Le terme intragénération sera utilisé pour référer aux caractéristiques particulières à l’intérieur d’une même cohorte à une période précise.


Celui d’intergénération sera utilisé pour référer aux caractéristiques entre plus d’une cohorte à l’intérieur d’une même période précise. Le terme transgénération, quant à lui, réfère aux caractéristiques entre plus d’une cohorte à travers plusieurs périodes précises. Pour les fins de cette dissertation, le terme intergénération est celui qui nous intéressera le plus. Voyons maintenant les éléments qui alimentent la dynamique intergénérationnelle.


1.2 Différences entre les générations et marché du travail : une question de valeurs et de méthodes

1.2.1 Contexte actuel du travail.

Le monde du travail connaît bien des changements depuis les cinquante dernières années. Il est passé de l'agriculture à la transformation et production de matières diverses pour être aujourd'hui axé sur les services vivant à chaque fois des crises socio-économiques. « Bref, le monde du travail est entré dans l'ère des statuts temporaires, des contrats, des emplois à temps partiel et de la réduction de personnel. Chacune des générations est affectée par ces transformations. Les plus jeunes doivent s'ajuster et user d'imagination pour faire leur place dans un marché de moins en moins ouvert. Les plus âgés sont écartés parce qu'on les dit "dépassés" par les nouvelles technologies ou tout simplement "trop vieux" pour accomplir leurs tâches. Quant à la génération du

centre, elle se sent écrasée par la lourdeur des responsabilités » (RIAQ-UQAM). La mutation du monde du travail nécessite une intégration des plus jeunes et une mise à niveau des plus vieux afin de réduire les risques néfastes d’une pénurie de main d’oeuvre.


1.2.2 Méthodes de travail :

Une première différence se dessine par rapport aux méthodes de travail. Selon le RIAQ-UQAM, certaines méthodes de travail sont amenées à changer. Le fossé intergénérationnel fait en sorte que chaque cohorte développe sa propre méthode de travail. Ainsi, une compétition s’installe et chacun conserve ses propres méthodes.


Cependant, les jeunes ambitieux et les organisations ont à apprendre des personnes plus âgées. En effet, « les travailleurs vieillissants subissent moins de lésions professionnelles que les jeunes, en grande partie parce qu'ils ont développé des stratégies de travail prudentielles … ils présentent une plus grande résistance. » (Lefebvre 2002). S’ils veulent s’intégrer sans s’épuiser, ils doivent reconnaître l’expertise de leurs aînés. Il en est de même pour les plus âgés. Ceux-ci doivent reconnaître la part d’expertise que détiennent les nouvelles générations s’ils veulent s’adapter et rester sur le marché du travail.


1.2.3 Changement des enjeux :

Une autre différence majeure décrit le phénomène du fossé intergénérationnel : il s'agit des différences de valeurs entre les cohortes20. Aux yeux de Blondin (2002) et de Guay (2003 ), les «Vétérans» (1935 à 1945) ont pour valeur le conformisme alors que les «Baby-Boomers» (1945 à1960) sont dévoués au travail et sont perfectionnistes. La «Génération X» (1965 à 1975) quant à elle, priorise l'équilibre travail-famille, l'autonomie et les défis et elle a peu de loyauté face à l'organisation où elle travaille tandis que la «Génération Y» (1975 à 1985) maîtrise la technologie, est la plus scolarisée, suit la loi du moindre effort, désire de gros salaires, aime la diversité et favorise les loisirs.


Ces différences de valeurs sont reliées aux besoins et réalités des époques ; le cadre de référence est donc particulier à chacune des générations et il entre en conflit lors de relation entre les générations. De plus, selon Lefebvre (2002), il est survenu un événement intra-générationnel important relié à la cohorte des baby-boomers dans les années soixante : les jeunes devenus adultes ont réorienté leurs enjeux culturels vers la sphère socio-économique. Ceci crée une trahison perçue par les plus jeunes et un déséquilibre référentiel. Au Québec, cette brisure sociale s’est effectuée suite à la «Révolution Tranquille» et a entraîné l’ère de la performance au cours des

années soixante-dix.


1.3 Quelle est la problématique générale dans les relations intergénérationnelles?

Cette perte de référence amène plusieurs problématiques qui animent les relations entre jeunes et vieux. Il y a d'abord le cloisonnement des services et loisirs, mais surtout la difficulté d'accès au marché du travail pour les jeunes. Sur ce fait, Solange Lefebvre (2002) mentionne le «clivage grandissant entre riches et pauvres et les crises économiques qui assombrissent le destin des plus jeunes entrant dans la vie adulte. »


De ce fait, un écart culturel s'effectue entre les générations. Cet écart porte sur les valeurs, un rapport au travail différent et des cadres de références non convergents. (Lefebvre 2002, Ross 2002, Terrail 1995). Selon l’anthropologue Norbert Ross (2002), cet écart est dépendant de l'intérêt porté à un sujet. Cette perte d'intérêt découle d'une lutte de pouvoir entre aînés et jeunes, lutte qui cloisonne les membres de la société plutôt que de favoriser le dialogue. En effet, les jeunes ont «le sentiment de ne pas être reconnus pour ce qu'ils valent et [ce qu’ils ] pourraient apporter (…) qu'on

exige d'eux qu'ils s'accommodent d'un moule» (Carette 2000). Dès lors, quand ces générations se rencontrent, des conflits sont possibles. Toujours selon Ross (2002), les pertes causées par ces conflits sont importantes et à jamais irrécupérables. Nous pouvons interpréter que ces conflits, dû aux perceptions différentes et au manque de dialogue, ont des répercutions sur la productivité des organisations. «On estime que 5% à 8% de la productivité des organismes et des entreprises serait perdue en raison de conflits et de malentendus entre les générations dans les milieux de travail. »

(RIAQ-UQAM).


Cette productivité est reliée aux méthodes de travail et à la culture organisationnelle qui doit être transmise tout en s’adaptant aux nouveautés du marché. Voici donc une analyse plus précise des différences qui sont présentes dans la relation intergénérationnelle et qui affectent l’adaptation des travailleurs.


1.4 Quelles sont les différences propres aux réalités des «baby-boomers » et de la
génération Y

1.4.1 Le langage et la culture :

Les différences perçues sont liées au langage, à la culture et à un besoin de s’identifier

différemment du groupe auquel on se compare. Le contexte, les besoins et le langage sont différents. L’expérience du monde telle que vécue par chaque génération possède certaines différences dues à leurs références non communes. «La source et le destinataire ont en commun la disposition d'un code. […] Si le signifiant est transmis, si le code est connu, alors le signifié est transmis. Communiquer, c'est transmettre des représentations par le canal de signaux. […]


L'interprétation consiste alors en un décodage de la transcription linguistique de propositions mentales» (Rastier 1995) et c’est ce décodage que le fossé intergénérationnel rend difficile. Les jeunes développent des expressions qui leurs sont propres. Ces expressions particulières rendent la compréhension parfois difficile. Les personnes plus âgées qui ne possèdent pas de temps pour apprendre ces codes, peuvent difficilement décoder l'information complète. Cette information incomplète accentue la divergence entre les deux parties et favorise les conflits.


1.4.2 Conflit de valeurs : solidarité vs individualité

Les valeurs ont changé. On peut dire qu'aujourd'hui la valorisation de soi l'emporte alors

qu'autrefois, la solidarité des générations était idéologiquement centrale (Segalen 1995)21. Dans le même sens, Baguet (1997) nous indique : « alors que l'école valorise la performance, ces vieux témoignaient de la persévérance ; alors qu'on valorise l'éphémère, ils témoignaient de la stabilité ; alors qu'on valorise l'agitation, ils témoignaient de la nécessité de la durée et de la fidélité à quelqu'un et à quelque chose…» Les différences mentionnées dans cette partie n’expliquent pas

tout le phénomène du fossé intergénérationnel, car ces valeurs ne sont pas antinomiques. Le conflit est donc plus profond et pourrait s’expliquer par des enjeux de pouvoir.


1.4.3 Conflits de pouvoir :

En effet les racines du conflit se trouvent aussi dans la pratique du pouvoir et dans la manière dont les influences se jouent entre ces générations.

• Les seniors sont peu à l'aise avec les jeunes car ils ont l'impression de perdre le contrôle de l'échange et de la transmission (Lefebvre 2002)

• Des deux côtés, le pouvoir d'un groupe sur l'autre est méconnu, au sens où l'on ne veut pas le voir, avec son cortège d'inégalité et d'aliénation (Carette 2000)


Le pouvoir peut être autoritaire, démocratique ou débonnaire (Lewin 1967 ). Avec l’évolution des théories des relations humaines, la culture générale est passée du mode autoritaire au mode démocratique. Ce mode convient mieux à la collaboration intergénérationnelle car il diminue la tension et permet un espace souple de libre mouvement (Lewin 1967), ce qui favorise la reconnaissance de l’autre et laisse un espace au dialogue.


1.4. 4 Scolarité

Toutefois, selon Terrail (1995), le conflit entre les générations est inévitable et prend source dans les différentes classes de main d'oeuvre. De plus, les jeunes employés ont souvent un niveau de scolarité plus élevé que les employés d'expérience. Cela crée une compétition où chacun conserve ses connaissances pour lui-même. Les besoins et valeurs sont différents d'une génération à l'autre.


Il ne faut pas négliger que les deux parties possèdent leur propre expérience et leur propre système de référence servant à évaluer le monde dans lequel elles évoluent.


1.4.5 Le processus d’apprentissage

De plus, il faut considérer la nouvelle vision du processus d’apprentissage. De ce fait, il ne faut pas considérer savoir, savoir-faire et savoir-être comme étant inculqués voir imposés par le mentor et «avalés » par le protégé, ce dernier étant en quelque sorte une cire malléable. Bien que la qualité de communication du mentor soit importante, l'apprentissage dépend tout autant de la responsabilité du protégé. Car c'est lui qui s'approprie l'information en validant ou rejetant certaines parties de l'information transmise. «Le message diffère pour l'émetteur et le récepteur. Il n'est pas

perçu de la même façon, car il n'est pas soumis au même régime de pertinence» (Rastier 1995).


Pour résumer cette partie, on peut dire que plusieurs facteurs décrivent les différences entre les générations, différences qui peuvent devenir source de conflit.


2. L’écart intergénérationnel et l’importance de la transmission des connaissances

2.1 Quel est le lien entre la relation intergénérationnelle et le processus de transmission ?

Le postulat central que nous utilisons pour expliquer le conflit intergénérationnel est que la conception de la transmission unilatérale dans la relation intergénérationnelle n'est plus appropriée. Elle fait référence à une conception à sens unique de la transmission et néglige le rôle actif de l’apprenti (responsabilité de l’appropriation de l’information) dans le processus d’apprentissage. De plus, cette conception laisse, sans mention, la possibilité de l'aîné d’apprendre formellement des connaissances transmises par son apprenti. Anciennement on concevait la transmission de façon

linéaire (M⇒P), alors que la nouvelle communication conçoit la transmission de façon interactive et construite (M⇔P) (Rastier 1995; Robin 2001; Terrail 1995).


2.2.1. Transmission et relation de pouvoir :

Lorsque la transmission qui provient de la part de la génération dite experte, fait abstraction de la perception de la génération des plus jeunes, cela peut donner une impression de pouvoir autoritaire et être perçu comme restreignant par le nouvel acteur. Toutefois, la réceptivité des plus jeunes sera favorable si cette transmission provient d’une personne à qui l’apprenti accorde une légitimité, ce

que French et Raven appellent le pouvoir de référence. La légitimité sera attribuée au senior dont les actes seront cohérents avec le contexte. Voyons plus avant les différentes formes de pouvoir telles que distinguées par French et Raven.


2.2.2 Les formes de pouvoir selon French et Raven (1959)22

Selon ces auteurs, on peut donc distinguer les formes de pouvoir suivantes que nous décrirons en les appliquant à la relation mentor/protégé: 1) Le Pouvoir de récompense selon lequel P accorde à M la capacité de le récompenser. 2) Le pouvoir de coercition réside dans la capacité de punir et est relié à la perception de P que M a la capacité de le punir. 3) Le pouvoir légitime est lié aux valeurs intégrées de P qui lui font considérer que M a le droit de l’influencer et qu’il a le devoir d’accepter l’influence. 4) le pouvoir de référence se trouve dans le fait d'accorder de la crédibilité à M et peut s’expliquer partiellement par l’identification de P à M. 5) Le pouvoir d’expert est la reconnaissance du savoir de M par P et est lié à la confiance du mentoré dans l’honnêteté de l’expert-mentor. 6) Le pouvoir informationnel est celui que possède celui qui détient l’information et est relié à la position stratégique dans le système permettant de filtrer, de garder ou de communiquer les informations, il est aussi lié à l’accès à des sources d’informations privilégiées.


2.2 De la transmission linéaire à la transmission dialogique : Impact sur l’apprentissage

Comme nous venons de le présenter, la transmission implique la communication du message et la relation de pouvoir qui existe entre celui qui transmet et celui qui reçoit. La transmission et l’apprentissage dépendent de l'appropriation par le récepteur «Les apprentissages sont le résultat d'une activité intelligente de l'intéressé» dans l'intériorisation des normes et savoirs (Rastier 1995; Terrail 1995).

Il faut donc concevoir le «récepteur» comme un être actif dans l’échange de l’information. Lorsque la relation intergénérationnelle implique une dimension de pouvoir qui s’est modifiée et qui a laissé des blessures, il doit y avoir un temps de transition afin que la nouvelle relation de pouvoir devienne plus démocratique et soit digne de confiance.


Suite aux évolutions technologiques qui se font rapidement, les connaissances et les savoir-faire sont souvent dépassés et deviennent rapidement désuets. Il reste, alors à l’héritage transmis, peu de validité possible autre que le savoir-être, soit l'attitude éthique (Baguet 1999). Ce qui est à transmettre ce sont les valeurs, les savoirs mais surtout les enjeux mis en contexte. «Et pour que la transmission soit reçue, il faut qu'elle se réalise en actes et en paroles avec cette perspective que transmettre ce n'est pas pour survivre tel que je suis ou pour me prolonger, c'est pour permettre à celui qui recevra d'être encore plus que moi» (Baguet 1999). Cet acte de transmission devient plus un geste relationnel qu’un acte technique dont le seul but est d’assurer la continuité d’une méthode technique. «À travers toute transmission de savoir, considéré ici comme objet au service de l'humain, de la relation du social, c'est toujours un projet plus global que l'on poursuit. […] En transmettant (…) je choisis de ne pas faire un geste technique mais un geste relationnel. » (Héber-Suffrin 2001)


Toutefois, cet acte relationnel ne suffit pas, même si la relation de pouvoir est démocratique, car ce qui fait sens pour les aînés ne peut suffire à leurs héritiers. (Carette 2000; Rastier 1995) . Le monde que chaque génération habite fait des demandes nouvelles aux différentes époques et les savoirs se renouvellent.


Cette transmission est donc grandement dépendante du langage, qui lui est un facteur lié au fossé intergénérationnel. Ce langage qui est influencé par la mode est aussi un processus identitaire servant à se démarquer entre les groupes. Heureusement le contexte permet un certain décodage entre les générations puisqu’il est «défini comme champ de référence» (Rastier 1995). Le fait de mettre les méthodes et valeurs dans le contexte peut donc être une solution au fossé, mais il faut qu’il y ait une place pour le dialogue.


Carette (2000) propose qu'on utilise ces conflits inévitables pour favoriser la connaissance de soi, de l'autre et d'en accepter les différences. Le temps de la stabilité est passé à celui du mouvement, par le dialogue on pourra peut-être arriver à un équilibre intéressant. La solidarité gagnée par la confrontation, entre les générations assure à la fois le renouvellement et la continuité entre les générations. Ce renouvellement et cette continuité mentionnées par Carette se retrouvent dans les différentes fonctions du mentorat puisqu’elles favorisent un espace pour le dialogue.


Que retenir de ceci ? Les modes de transmission des savoirs et les manières dont s’exerce le pouvoir sont au coeur de la rencontre entre les générations. Compte-tenu de ceci, dans quelle mesure le mentorat peut-il être un pont entre les générations ?


3. Le mentorat est-il favorable à la construction d’un pont intergénérationnel ?

3.1 Rôles et fonctions du mentorat

Dans le cas du mentorat, la réciprocité entre le mentor et son protégé est importante. Pour que le renouvellement mentionné précédemment se réalise, il importe que le mentor exerce son pouvoir de façon aidante. Le mentor possède plusieurs pouvoirs simultanément, soit ceux de référence, d’expert, de récompense et d’information. On peut se demander jusqu’où le pouvoir de coercition est peu présent dans le mentorat. Le pouvoir légitime quant à lui découle des quatre autres formes

de pouvoir. Le modèle de mentorat présenté sous douze fonctions (Houde 1995) peut être rapproché des six formes du pouvoir de French et Raven (1959) tel qu’adapté dans le tableau suivant.



Pour ce qui à trait à la septième fonction, on insiste souvent sur l’importance de la modélisation de rôle. Il faut faire des liens entre modèles et pouvoir de références : la modélisation de rôle est sans doute possible uniquement parce que le mentor exerce un pouvoir de référence sur le mentoré. «Il se trouve qu'un modèle est un objet à reproduire, tandis qu'une référence est un support dont on s'inspire pour créer soi-même son propre modèle, fut-il provisoire» (Héber-Suffrin 2001).


La modélisation de rôle est un processus qui recoupe le processus d’identification. Il faut se défaire des anciennes images qui voulaient que le modèle représente souvent l'image d'autorité, ce qui pourrait être une source de conflit entre les générations. L’ensemble de ces douze fonctions, permet de reconnaître l’autre et de lui laisser une place et cela dans un climat de confiance et de collaboration lorsque le pouvoir s’exerce de façon démocratique plutôt qu’autoritaire et lorsque la transmission se fait de façon dialogique.


3.2.1 Relation de mentorat et dialogue intergénérationnel

Les éléments essentiels du mentorat sont similaires à ceux favorables à l'harmonie

intergénérationnelle, soit : la réciprocité et la confiance (Carette 2000; Guay 2003; Houde 1995; McDowell 2002; Robin 2001). Les douze fonctions du mentor citées précédemment favorisent un pont intergénérationnel pour réduire le fossé qui s’élargit, car elles réduisent l’effet d’autorité contraignante et dominatrice pour laisser place à la découverte de l’autre. Afin de construire un pont intergénérationnel solide, il faut que les acteurs atteignent une certaine maturité, soit que les deux s’individualisent. Le but du mentorat est l'individuation et le développement du jeune adulte (Guay 2003; Houde 1995), ceci tout en permettant au mentor d’exercer sa générativité et donc de s’individuer de son côté, ce qui nous indique, une fois de plus, le lien possible entre le mentorat et le pont intergénérationnel.


3.2.2 La dynamique de la relation de mentorat

Cette relation s'étale en trois étapes (Houde 1995) soit celles : du commencement, du déroulement et du dénouement. Lors du déroulement, plusieurs dynamiques s'installent entre satisfaction et insatisfaction, ainsi qu’entre les attentes et les besoins. Dans le processus relationnel, Houde (1995) et d'autres auteurs insistent sur la nécessité de l’affectivité, de la reconnaissance et du partage. La confiance est très importante dans la transmission de l'information (McDowell). Cette relation amènera chacun à prendre conscience de ses possibilités et de ses limites. Cette prise de

conscience découle de la modification de sa propre perception de l'autre et de la relation de pouvoir, C’est ce que je nomme la coéducation23. Au début, le protégé idéalise le mentor et se projette en lui. Ensuite, il y a un moment d’égalité entre le mentor et le protégé. La fin implique une maturité accrue pour l’un et l’autre si le passage se produit bien. La relation de mentorat est donc une relation de transition, car elle ouvre obligatoirement sur de nouveaux horizons. Tout comme le mentorat, le phénomène intergénérationnel s'installe entre la satisfaction et l'insatisfaction des deux générations et nécessite la prise de conscience des différences.


De plus, le lien de confiance est important pour tisser le pont entre les générations qui sont ici le mentor et le protégé. Pour sa part, le mentorat est favorable au pont intergénérationnel car il permet une reconstruction du lien social.


3.2 mentorat et reconstruction du lien social

La relation de mentorat permet donc d'apprendre sur soi et sur l'autre. Elle permet tout autant d’apprendre des connaissances techniques que des connaissances sociales. Selon McDowell, la relation est plus que dialogue : «what is required may not be information, but reinforcement of social tie». Bien sûr cette relation tisse des liens sociaux, mais favorise aussi l'individuation et la différenciation de l'autre qui permet une découverte de soi. Selon la recherche exploratoire de Boulard (2000), 78% des protégés et 70% des mentors trouvent des corrélations entre le soi personnel et les bénéfices d'une relation mentorale. Les avantages sont nombreux. D'une part, les protégés trouvent que la relation mentorale offre la possibilité de se découvrir soi-même, de se

développer professionnellement, de s'aider à faire des choix et à mieux s'outiller. D'autre part, les mentors trouvent que la relation mentorale leur permet de développer des capacités et des aptitudes à coacher, d'apprendre de leurs protégés (Boulard 2000 p. 70). D'ailleurs, la perception que les acteurs ont d'eux-mêmes influencerait grandement les avantages de la relation. Ils ont besoin d'une personne pour refléter ce qu'ils sont ou ce qu'ils pourraient ou voudraient être (Boulard 2000 : p.73) Dans la conclusion de sa recherche, Boulard indique que la conception de soi, les attentes et les besoins sont des éléments importants pour une relation mentorale satisfaisante. Ces éléments sont aussi importants pour l'apprentissage et construire le pont entre les générations.


Conclusion

Pour conclure, nous avons essayé de démontrer, tout au long de cet article, comment le mentorat peut être favorable à la construction d’un pont intergénérationnel qui réduirait les conflits en milieu de travail, causés par le choc démographique déjà entamé. Pour répondre à cette question, nous avons analysé le phénomène de l’écart intergénérationnel en deux étapes pour ensuite faire un rapprochement avec le mentorat. Comme il l’est mentionné dans la première partie de cette communication, le monde du travail est en changement. Les spécialistes de la gestion le disent, les entreprises doivent s'adapter rapidement aux fluctuations du marché pour survivre. Le mentorat peut devenir un excellent outil d'équilibre dans les périodes de transition (tant personnelle qu'organisationnelle) en misant sur une coopération intergénérationnelle où chaque génération peut exprimer son expertise dans la situation donnée. En partageant de part et d'autre les informations (nouvelles techniques et expériences), chacun deviendra plus humain et plus efficace dans son domaine. L’ouverture au dialogue créée par le mentorat favorise l’échange des valeurs et des connaissances permettant des apprentissages variés tant sur le plan technique, culturel et personnel. Si l'autorité imposée accentue l’émergence du fossé entre les relations intergénérationnelles, le mentorat quant à lui prône une relation de pouvoir plus démocratique.


Voilà pourquoi le mentorat peut être une solution au phénomène intergénérationnel. La

transmission faite dans un climat de confiance devient à double sens, elle est une co-construction.


Le danger est que le mentorat mal établi sombre dans les conflits formés par le fossé des générations. Enfin ce travail de mentorat est sans doute plus exigeant lorsque le mentor a l’impression d’entrer lui-même dans un nouveau monde, ce qui semble le cas dans cette fin de millénaire…(Houde 1995). Ainsi, il ne reste plus qu’une autre catégorie importante d’acteurs à impliquer dans ce succès, soit les organisations. Leur participation est de mise, car les conjonctures économiques et politiques sont des déterminants importants au succès des programmes de mentorat et de la solidarité dans la relation intergénérationnelle.


En terminant, il est à noter que le défi n’est pas de mettre fin à l’adage qui dit : « autres temps, autres moeurs », mais plutôt de réduire le dicton qui prétend : « si jeunesse savait et si vieillesse pouvait ».


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